Trois battements normaux, puis le cœur part en vrille. La patiente, maintenue inconsciente par des sédatifs, ne sait pas qu’elle est au bord du gouffre.

De nouveau, trois battements ordinaires, et une nouvelle envolée à 250 la minute. À cette vitesse, le cœur frétille plus qu’il ne pompe. Nous perdons encore le pouls, massons le cœur pour amener un peu de sang vers le cerveau—trop peu. Convulsion. Il faut la sortir de ce cercle infernal.

Je suis enfoncé dans ma bulle, d’où j’observe le tout, concentré. Sans solution, elle meurt. J’ai beau tout évaluer, je ne vois rien d’autre.

Mais voilà que, du coin de l’œil, j’aperçois du nouveau au moniteur cardiaque. À ma demande, la commis apporte rapidement la bande imprimée. Je mesure le rythme au compas. C’est indéniable: avant chaque vrille, le cœur ralentit imperceptiblement.

Je peux me tromper, mais ça vaut le coup de tenter de forcer l’accélération du cœur pour l’empêcher de repartir en vrille.

«Pars le pacemakeur externe à 80!»

L’infirmière met l’appareil en marche. Le torse de la patiente se contracte au rythme des petits chocs, qui entrainent le cœur. Mais le voilà qui s’envole de nouveau.

«On monte à 90!»

Une autre vrille. Alors que je m’apprête à augmenter à 100, une éclaircie soudaine arrive au milieu de la tempête. Les vrilles cessent. Le pouls revient pour de bon. L’alarme du moniteur se tait. Nous nous regardons avec soulagement et émotion.

Le lendemain, j’arrive en courant aux soins intensifs. La patiente, bien stable, n’a aucun souvenir de moi. Elle me sourit pourtant en serrant fort la main de sa mère. Elle a tout juste 19 ans, et la vie devant elle.

En redescendant à l’urgence, heureux et soulagé, je constate qu’encore une fois, quand le temps semblait en train de nous battre de vitesse, il a été possible d’arracher une vie à la mort en prenant une décision cruciale sur la base d’un simple détail. Un détail vital.

Battre la mesure du temps

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